Ron Haleber
03-08-04, 14:17
Ik ben wel tegen gedichten in het frans. Maar nieuws op niveau over Marokko is nu eenmaal nergens in NL of BE te vinden. Daarom bij uitzondering dit degelijke en kritische artikel over de situatie van Maroc na 5jaar M6:
DANS JEUNE AFRIQUE / L'INTELLIGENT
http://www.jeuneafrique.com/gabarits/articleJAI_online.asp?art_cle=LIN25074mansasrpasn0
M6 cinq ans après
http://members.lycos.nl/hegel/roi-2.jpg
D'un roi à l'autre, tout demeure, rien n'est pareil. Le successeur de Hassan II entend marquer sa différence, et les Marocains, qui n'ont jamais été aussi libres, se résignent de moins en moins. Le terrorisme semble mäîtrisé, mais l'islamisme a le vent en poupe. Et le pays attend toujours un grand dessein...
Cinq ans déjà. Mohammed VI est roi du Maroc depuis cinq ans. Au regard du temps dynastique, ce n'est rien. À l'aune de l'actualité trépidante, c'est beaucoup. Un lustre. Surtout pour ceux qui, dans certaines rédactions à Paris ou à Madrid, s'étaient persuadés que les jours du nouveau règne étaient comptés.
Au Maroc, la magie monarchique a fonctionné à merveille. Le roi est mort, vive le roi ! D'emblée, celui que les jeunes Marocains ont surnommé M6 pour mieux l'adopter occupe la place vacante. Hassan II s'est éteint dans l'après-midi du 23 juillet 1999 et, le soir même, la cérémonie d'allégeance dépoussiérée est menée tambour battant.
D'un roi à l'autre, l'adhésion populaire s'est reportée sans fausse note. Tout au plus peut-on relever des nuances dans l'alchimie des sentiments. À l'égard de Hassan II, une certaine vénération craintive l'emportait, laquelle s'accommode, s'agissant de M6, d'une bonne dose d'affection et de tendresse. À telle enseigne ces photos du nouveau roi au look branché, peu conforme aux canons de la majesté royale mais qui ne choque personne.
Aujourd'hui, cinq ans après, les deux images du roi, celle que se sont donnée les Marocains comme celle qui s'est forgée à l'extérieur, se recoupent. Principe de réalité oblige, le nouveau roi n'est plus nouveau. Il est le roi, voilà tout. On a même l'impression, privilège incomparable de la monarchie, que le 23e monarque de la dynastie alaouite règne depuis toujours.
Mais avant de se fixer, cette image aujourd'hui dominante sinon unique a passablement hésité, vacillé, tremblé. On a eu affaire à des instantanés successifs, au gré des initiatives royales. Ce fut tour à tour « le roi des pauvres », le « roi des femmes », « le roi du foot »... Désormais, c'est seulement, sobrement, le roi du Maroc. Les photographies fantaisistes, probablement épuisées, ont disparu des médinas de Fès et de Marrakech. Et seule l'effigie de Mohammed VI trône dans les bâtiments publics.
Cinq ans de règne, c'est peu, c'est beaucoup... En tout cas, assez pour esquisser un premier bilan et aborder les questions d'usage. Et d'abord celle-ci : que reste-t-il de Hassan II ?
À cette question, un ami a répondu par une boutade : la Grande Mosquée Hassan-II et Driss Basri ! Le monument élevé sur les flots de l'Atlantique et qui a coûté au bas mot 7 milliards de dirhams (11 DH = 1 euro) pose aujourd'hui de sérieux problèmes de maintenance. Excentré, il est moins fréquenté que prévu et tarde à recevoir un environnement architectural assorti à ses majestueuses splendeurs. Le temps a été moins clément encore pour Driss Basri. Celui qui a régenté le ministère de l'Intérieur pendant près de deux décennies et fut surtout le grand vizir à tout faire de Hassan II se morfond à Paris depuis que certains de ses proches ont maille à partir avec la justice et s'essaie avec une maladresse pathétique à la siba (« rébellion ») en prenant garde de ne pas rompre avec son Makhzen d'origine.
Faut-il citer, au chapitre des reliquats du régime hassanien, les scandales financiers dont les procès émaillent la chronique judiciaire et qui concernent diverses institutions (Crédit agricole, CIH, BNDE, ONP, CNSS, etc.) ? Assurément oui, dans la mesure où les pratiques sanctionnées participaient d'un système précis dans lequel le roi, décrétant que l'économie devait servir la politique, s'octroyait la libre disposition du patrimoine public. Ce système a-t-il vraiment disparu ? Il est sérieusement remis en question, comme l'attestent les procès. De plus, il semble antinomique avec la philosophie du nouveau régime.
Sous la même rubrique « passif de Hassan II », les droits de l'homme trouvent naturellement leur place. Ici le changement est spectaculaire. Jamais les Marocains n'ont été aussi libres. Initiative plus méritoire encore : la reconnaissance de la responsabilité de l'État dans les violations des droits de l'homme depuis l'indépendance et l'indemnisation des victimes.
Mais l'oeuvre de Hassan II ne se réduit pas à ces aspects sombres. À son actif, l'édification d'un État moderne. Ce n'est pas rien si l'on sait que l'ancien Empire chérifien s'était épuisé pendant des siècles dans des luttes incessantes entre Makhzen et siba, pouvoir central et dissidence. L'administration territoriale (qui s'exerce sur l'ensemble du territoire national) est une idée neuve au Maroc : elle date du Protectorat et de Hassan II. Il a fallu attendre la Marche verte (novembre 1975) pour qu'un ordre émanant du roi, en l'espèce la mobilisation de quelque 300 000 « marcheurs », prenne immédiatement effet aux quatre coins du royaume.
L'État moderne aura été cruellement mis à l'épreuve le 16 mai 2003. L'irruption d'opérations kamikazes concomitantes en plein coeur de Casablanca provoquant 45 morts a pris tout le monde au dépourvu. On croyait que le Maroc était immunisé contre le péril terroriste. Que la vigilance des services spécialisés ait été trompée pose problème. Mais qu'en est-il aujourd'hui ? D'abord quelques chiffres qui parlent d'eux-mêmes. Le nombre des personnes interpellées depuis les attentats dépasse 5 700. Au dernier décompte, 1 308 d'entre elles ont été inculpées. L'étendue du mal est patente. Autant que la célérité avec laquelle il a été traité. On a même le sentiment que les policiers savaient beaucoup de choses et qu'ils n'avaient pas les mains libres. Ils se sont rattrapés après le 16 mai. Un second constat s'impose ensuite. Hormis l'assassinat de deux juifs à Casablanca et à Meknès (11 et 13 septembre), on ne déplore aucun attentat d'envergure. Le général Hmidou Laanigri, le patron de la sécurité, s'il n'exclut pas des coups isolés, estime que « le danger terroriste est écarté ».
La connaissance exacte du terrorisme djihadiste, ici, permet de mieux saisir ses périls et ses limites. Trois facteurs distincts en font la spécificité. À la base, des déshérités issus des bidonvilles et voués à la délinquance. Au sommet, des islamistes marocains appartenant à el-Qaïda, anciens d'Afghanistan, la plupart dûment répertoriés. Ils interviennent comme agents recruteurs, organisateurs, spécialistes en explosifs. Entre la piétaille locale et les officiers internationalistes, les prêcheurs manipulateurs qui préparent les futures recrues. C'est la tolérance à l'égard de ces charlatans stipendiés par des réseaux saoudiens et disséminés dans la mouvance islamiste légaliste qui a permis le développement du djihadisme terroriste. Le roi parlera de « laxisme ». Depuis, les appareils de sécurité ont pu faire leur travail. Et s'ils ont très rapidement obtenu des résultats probants, c'est parce que les cellules démantelées ou potentielles souffrent de certains handicaps sérieux qui réduisent substantiellement leur marge de nuisance. Elles manquent d'armes, d'argent, et leur savoir-faire en matière d'explosifs reste rudimentaire. Handicap suprême : l'absence d'implantation populaire. Cette donnée essentielle, éclatante au lendemain du 16 mai, ne s'est jamais démentie. Partout, spontanément la population a prêté main forte aux raids de la sécurité. « Le peuple est sain », martèle un haut responsable en expliquant qu'il n'est pas infesté, dans ses profondeurs, par l'idéologie djihadiste et fait la part entre la solidarité naturelle avec les Palestiniens ou les Irakiens et les visées d'un Ben Laden.
Ce bilan de santé plutôt rassurant, faut-il le mettre, au même titre que l'État moderne, au crédit de Hassan II ? Ce qui est sûr, c'est que cet esprit public, fait d'un attachement naturel, serein aux vertus essentielles, n'est pas tombé du ciel. Il n'est pas étranger au pluralisme ancré désormais dans les moeurs politiques. À l'égard de ce pluralisme, Hassan II avait une attitude complexe : il l'a utilisé, détourné, perverti et finalement il l'a intégré en l'institutionnalisant. La bonne santé politique des Marocains est également le fruit d'une authentique culture musulmane. Et là, le mérite de Hassan II est sans partage. Lui et lui seul avait cette attention profonde, constante, résolue aux choses de la religion. Se proclamant « fondamentaliste », il entendait ne pas abandonner l'islam aux islamistes. En revanche, on peut lui faire grief d'avoir sous-estimé les méfaits de l'islam saoudien et d'avoir laissé la bride sur le cou à un Abdelkebir Alaoui Medeghri, le Basri de la religion.
Enfin, il est difficile d'ignorer que si le royaume est aujourd'hui réconcilié avec lui-même, et qu'il s'est enfin débarrassé des querelles stériles entre la monarchie et le « Mouvement national », il le doit à la politique d'alternance menée à bien par Hassan II. En appelant son plus constant adversaire, le socialiste Abderrahmane Youssoufi, à la tête du gouvernement, il avait à coeur de léguer à son fils un royaume apaisé, pacifié, mieux armé pour faire face aux périls connus ou imprévisibles.
Mais Hassan II a disparu depuis cinq ans. Mohammed VI a eu tout le temps de s'installer, de prendre ses marques, de dresser l'état des lieux et de se faire une idée de ce qu'il convient de préserver et de ce qu'il devrait sans tarder réformer. Bien entendu, la bonne question est : qu'est-ce qui a changé sous M6 ? Mohamed Tozy tranche sans hésiter : « C'est le Maroc, ce sont les Marocains ! » Entre deux enquêtes dans le Rif ou le Haut-Atlas, le politologue baroudeur, auteur d'un livre de référence (Monarchie et islam politique au Maroc, éditions Presses de Sciences-Po), explique qu'on assiste à une intensification des frustrations provoquée très classiquement par la satisfaction croissante des besoins primaires (eau, électricité, routes...).
L'attitude des Marocains à l'égard de l'État a, du coup, sensiblement changé. Difficile de dire que l'État-ghoul (« ogre ») qui fait peur ou l'État-providence qui procure des bienfaits ont totalement disparu des mentalités, mais on constate que les gens attendent aussi de l'État autre chose. Pour eux, l'État a des obligations qui concernent la sécurité, l'hygiène, les infrastructures primaires... et il est tenu de les remplir. Le mektoub, c'est-à-dire la résignation fataliste devant le destin, recule. Un accident de car en France ramenant au pays des Marocains résidant à l'étranger (MRE) ? Le roi envoie un don pour aider les victimes. Mais ça ne suffit pas. Pourquoi l'accident ? Qui en est responsable ? Même réaction après le séisme d'Al-Hoceima en février. On réclame, on proteste, on exige des comptes... Toutes choses qui sont banales et légitimes ailleurs mais qui, ici, sont inédites et, pour tout dire, révolutionnaires.
Phénomène tout aussi surprenant à propos de la religion. Lors du Festival d'Essaouira, Gnaouas, musiques du monde, qui en est à sa septième édition et qui a drainé quelque 300 000 jeunes, un leader islamiste a jeté l'anathème sur les festivals, « lieux de drogue, de débauche et d'homosexualité ». Il est relayé par un certain Redouane Benchekroun au cours du prêche du vendredi, diffusé en direct à la télévision publique. Mais ça ne passe pas, ça ne passe plus : indignation et colère qui se manifestent d'abord parmi les fidèles. On accepte que les islamistes condamnent les festivals, ils vendent leur camelote. On comprend qu'un alem rivalise avec eux sur leur terrain. Mais que la télévision diffuse et amplifie ce discours pour le moins contestable devient intolérable. Où est Ahmed Taoufik appelé justement aux Affaires religieuses pour empêcher ces dérives ? Où est sa réforme censée éloigner les oulémas des manipulations islamistes ?
Le changement, bien évidemment, n'épargne pas la monarchie. Une donnée d'évidence qui n'est pas seulement l'expression d'une lapalissade : Mohammed VI n'est pas Hassan II. Ce n'est pas affaire de style comme aimait à le répéter le roi défunt : moi c'est moi, lui c'est lui. Recevant Jean Daniel, directeur du Nouvel Observateur, au lendemain de son intronisation, M6 lui dit en substance : « Je sais que pendant que je vous parle, vous n'allez pas manquer de regarder le portrait de mon père accroché au-dessus de ma tête, et vous n'éviterez pas de faire des comparaisons entre lui et moi. J'ai dit la même chose hier à Madeleine Albright qui était assise à votre place. Eh bien, les uns et les autres, vous devrez vous y faire : je ne suis pas Hassan II. »
À première vue, de tels propos semblent affectés d'un coefficient de modestie, voire d'humilité. Ce n'est pas si sûr. M6 entend marquer sa différence. On pourrait même déceler chez le fils une franche opposition post mortem à l'égard du père qui n'est pas dépourvue d'agressivité.
Pour commencer, la conception que se fait M6 de son rôle de roi est totalement différente. La distinction établie voilà deux ans par Tozy est très significative. Pour Hassan II, la monarchie se confondait avec le Maroc et le roi avec le royaume. Il était le roi partout et toujours. M6, qui revendique le droit à une sphère privée, n'est roi qu'aux heures ouvrables. Au volant de sa voiture, il s'arrête au feu rouge et n'apprécie pas qu'on arrête pour lui la circulation. L'été, un jour de fête religieuse, il s'acquitte à la mosquée de ses obligations d'Amir Al-Mouminine (Commandeur des croyants) et, à peine la cérémonie terminée, chacun peut le voir traverser la plage pour se livrer à son sport favori : le jet-ski.
DANS JEUNE AFRIQUE / L'INTELLIGENT
http://www.jeuneafrique.com/gabarits/articleJAI_online.asp?art_cle=LIN25074mansasrpasn0
M6 cinq ans après
http://members.lycos.nl/hegel/roi-2.jpg
D'un roi à l'autre, tout demeure, rien n'est pareil. Le successeur de Hassan II entend marquer sa différence, et les Marocains, qui n'ont jamais été aussi libres, se résignent de moins en moins. Le terrorisme semble mäîtrisé, mais l'islamisme a le vent en poupe. Et le pays attend toujours un grand dessein...
Cinq ans déjà. Mohammed VI est roi du Maroc depuis cinq ans. Au regard du temps dynastique, ce n'est rien. À l'aune de l'actualité trépidante, c'est beaucoup. Un lustre. Surtout pour ceux qui, dans certaines rédactions à Paris ou à Madrid, s'étaient persuadés que les jours du nouveau règne étaient comptés.
Au Maroc, la magie monarchique a fonctionné à merveille. Le roi est mort, vive le roi ! D'emblée, celui que les jeunes Marocains ont surnommé M6 pour mieux l'adopter occupe la place vacante. Hassan II s'est éteint dans l'après-midi du 23 juillet 1999 et, le soir même, la cérémonie d'allégeance dépoussiérée est menée tambour battant.
D'un roi à l'autre, l'adhésion populaire s'est reportée sans fausse note. Tout au plus peut-on relever des nuances dans l'alchimie des sentiments. À l'égard de Hassan II, une certaine vénération craintive l'emportait, laquelle s'accommode, s'agissant de M6, d'une bonne dose d'affection et de tendresse. À telle enseigne ces photos du nouveau roi au look branché, peu conforme aux canons de la majesté royale mais qui ne choque personne.
Aujourd'hui, cinq ans après, les deux images du roi, celle que se sont donnée les Marocains comme celle qui s'est forgée à l'extérieur, se recoupent. Principe de réalité oblige, le nouveau roi n'est plus nouveau. Il est le roi, voilà tout. On a même l'impression, privilège incomparable de la monarchie, que le 23e monarque de la dynastie alaouite règne depuis toujours.
Mais avant de se fixer, cette image aujourd'hui dominante sinon unique a passablement hésité, vacillé, tremblé. On a eu affaire à des instantanés successifs, au gré des initiatives royales. Ce fut tour à tour « le roi des pauvres », le « roi des femmes », « le roi du foot »... Désormais, c'est seulement, sobrement, le roi du Maroc. Les photographies fantaisistes, probablement épuisées, ont disparu des médinas de Fès et de Marrakech. Et seule l'effigie de Mohammed VI trône dans les bâtiments publics.
Cinq ans de règne, c'est peu, c'est beaucoup... En tout cas, assez pour esquisser un premier bilan et aborder les questions d'usage. Et d'abord celle-ci : que reste-t-il de Hassan II ?
À cette question, un ami a répondu par une boutade : la Grande Mosquée Hassan-II et Driss Basri ! Le monument élevé sur les flots de l'Atlantique et qui a coûté au bas mot 7 milliards de dirhams (11 DH = 1 euro) pose aujourd'hui de sérieux problèmes de maintenance. Excentré, il est moins fréquenté que prévu et tarde à recevoir un environnement architectural assorti à ses majestueuses splendeurs. Le temps a été moins clément encore pour Driss Basri. Celui qui a régenté le ministère de l'Intérieur pendant près de deux décennies et fut surtout le grand vizir à tout faire de Hassan II se morfond à Paris depuis que certains de ses proches ont maille à partir avec la justice et s'essaie avec une maladresse pathétique à la siba (« rébellion ») en prenant garde de ne pas rompre avec son Makhzen d'origine.
Faut-il citer, au chapitre des reliquats du régime hassanien, les scandales financiers dont les procès émaillent la chronique judiciaire et qui concernent diverses institutions (Crédit agricole, CIH, BNDE, ONP, CNSS, etc.) ? Assurément oui, dans la mesure où les pratiques sanctionnées participaient d'un système précis dans lequel le roi, décrétant que l'économie devait servir la politique, s'octroyait la libre disposition du patrimoine public. Ce système a-t-il vraiment disparu ? Il est sérieusement remis en question, comme l'attestent les procès. De plus, il semble antinomique avec la philosophie du nouveau régime.
Sous la même rubrique « passif de Hassan II », les droits de l'homme trouvent naturellement leur place. Ici le changement est spectaculaire. Jamais les Marocains n'ont été aussi libres. Initiative plus méritoire encore : la reconnaissance de la responsabilité de l'État dans les violations des droits de l'homme depuis l'indépendance et l'indemnisation des victimes.
Mais l'oeuvre de Hassan II ne se réduit pas à ces aspects sombres. À son actif, l'édification d'un État moderne. Ce n'est pas rien si l'on sait que l'ancien Empire chérifien s'était épuisé pendant des siècles dans des luttes incessantes entre Makhzen et siba, pouvoir central et dissidence. L'administration territoriale (qui s'exerce sur l'ensemble du territoire national) est une idée neuve au Maroc : elle date du Protectorat et de Hassan II. Il a fallu attendre la Marche verte (novembre 1975) pour qu'un ordre émanant du roi, en l'espèce la mobilisation de quelque 300 000 « marcheurs », prenne immédiatement effet aux quatre coins du royaume.
L'État moderne aura été cruellement mis à l'épreuve le 16 mai 2003. L'irruption d'opérations kamikazes concomitantes en plein coeur de Casablanca provoquant 45 morts a pris tout le monde au dépourvu. On croyait que le Maroc était immunisé contre le péril terroriste. Que la vigilance des services spécialisés ait été trompée pose problème. Mais qu'en est-il aujourd'hui ? D'abord quelques chiffres qui parlent d'eux-mêmes. Le nombre des personnes interpellées depuis les attentats dépasse 5 700. Au dernier décompte, 1 308 d'entre elles ont été inculpées. L'étendue du mal est patente. Autant que la célérité avec laquelle il a été traité. On a même le sentiment que les policiers savaient beaucoup de choses et qu'ils n'avaient pas les mains libres. Ils se sont rattrapés après le 16 mai. Un second constat s'impose ensuite. Hormis l'assassinat de deux juifs à Casablanca et à Meknès (11 et 13 septembre), on ne déplore aucun attentat d'envergure. Le général Hmidou Laanigri, le patron de la sécurité, s'il n'exclut pas des coups isolés, estime que « le danger terroriste est écarté ».
La connaissance exacte du terrorisme djihadiste, ici, permet de mieux saisir ses périls et ses limites. Trois facteurs distincts en font la spécificité. À la base, des déshérités issus des bidonvilles et voués à la délinquance. Au sommet, des islamistes marocains appartenant à el-Qaïda, anciens d'Afghanistan, la plupart dûment répertoriés. Ils interviennent comme agents recruteurs, organisateurs, spécialistes en explosifs. Entre la piétaille locale et les officiers internationalistes, les prêcheurs manipulateurs qui préparent les futures recrues. C'est la tolérance à l'égard de ces charlatans stipendiés par des réseaux saoudiens et disséminés dans la mouvance islamiste légaliste qui a permis le développement du djihadisme terroriste. Le roi parlera de « laxisme ». Depuis, les appareils de sécurité ont pu faire leur travail. Et s'ils ont très rapidement obtenu des résultats probants, c'est parce que les cellules démantelées ou potentielles souffrent de certains handicaps sérieux qui réduisent substantiellement leur marge de nuisance. Elles manquent d'armes, d'argent, et leur savoir-faire en matière d'explosifs reste rudimentaire. Handicap suprême : l'absence d'implantation populaire. Cette donnée essentielle, éclatante au lendemain du 16 mai, ne s'est jamais démentie. Partout, spontanément la population a prêté main forte aux raids de la sécurité. « Le peuple est sain », martèle un haut responsable en expliquant qu'il n'est pas infesté, dans ses profondeurs, par l'idéologie djihadiste et fait la part entre la solidarité naturelle avec les Palestiniens ou les Irakiens et les visées d'un Ben Laden.
Ce bilan de santé plutôt rassurant, faut-il le mettre, au même titre que l'État moderne, au crédit de Hassan II ? Ce qui est sûr, c'est que cet esprit public, fait d'un attachement naturel, serein aux vertus essentielles, n'est pas tombé du ciel. Il n'est pas étranger au pluralisme ancré désormais dans les moeurs politiques. À l'égard de ce pluralisme, Hassan II avait une attitude complexe : il l'a utilisé, détourné, perverti et finalement il l'a intégré en l'institutionnalisant. La bonne santé politique des Marocains est également le fruit d'une authentique culture musulmane. Et là, le mérite de Hassan II est sans partage. Lui et lui seul avait cette attention profonde, constante, résolue aux choses de la religion. Se proclamant « fondamentaliste », il entendait ne pas abandonner l'islam aux islamistes. En revanche, on peut lui faire grief d'avoir sous-estimé les méfaits de l'islam saoudien et d'avoir laissé la bride sur le cou à un Abdelkebir Alaoui Medeghri, le Basri de la religion.
Enfin, il est difficile d'ignorer que si le royaume est aujourd'hui réconcilié avec lui-même, et qu'il s'est enfin débarrassé des querelles stériles entre la monarchie et le « Mouvement national », il le doit à la politique d'alternance menée à bien par Hassan II. En appelant son plus constant adversaire, le socialiste Abderrahmane Youssoufi, à la tête du gouvernement, il avait à coeur de léguer à son fils un royaume apaisé, pacifié, mieux armé pour faire face aux périls connus ou imprévisibles.
Mais Hassan II a disparu depuis cinq ans. Mohammed VI a eu tout le temps de s'installer, de prendre ses marques, de dresser l'état des lieux et de se faire une idée de ce qu'il convient de préserver et de ce qu'il devrait sans tarder réformer. Bien entendu, la bonne question est : qu'est-ce qui a changé sous M6 ? Mohamed Tozy tranche sans hésiter : « C'est le Maroc, ce sont les Marocains ! » Entre deux enquêtes dans le Rif ou le Haut-Atlas, le politologue baroudeur, auteur d'un livre de référence (Monarchie et islam politique au Maroc, éditions Presses de Sciences-Po), explique qu'on assiste à une intensification des frustrations provoquée très classiquement par la satisfaction croissante des besoins primaires (eau, électricité, routes...).
L'attitude des Marocains à l'égard de l'État a, du coup, sensiblement changé. Difficile de dire que l'État-ghoul (« ogre ») qui fait peur ou l'État-providence qui procure des bienfaits ont totalement disparu des mentalités, mais on constate que les gens attendent aussi de l'État autre chose. Pour eux, l'État a des obligations qui concernent la sécurité, l'hygiène, les infrastructures primaires... et il est tenu de les remplir. Le mektoub, c'est-à-dire la résignation fataliste devant le destin, recule. Un accident de car en France ramenant au pays des Marocains résidant à l'étranger (MRE) ? Le roi envoie un don pour aider les victimes. Mais ça ne suffit pas. Pourquoi l'accident ? Qui en est responsable ? Même réaction après le séisme d'Al-Hoceima en février. On réclame, on proteste, on exige des comptes... Toutes choses qui sont banales et légitimes ailleurs mais qui, ici, sont inédites et, pour tout dire, révolutionnaires.
Phénomène tout aussi surprenant à propos de la religion. Lors du Festival d'Essaouira, Gnaouas, musiques du monde, qui en est à sa septième édition et qui a drainé quelque 300 000 jeunes, un leader islamiste a jeté l'anathème sur les festivals, « lieux de drogue, de débauche et d'homosexualité ». Il est relayé par un certain Redouane Benchekroun au cours du prêche du vendredi, diffusé en direct à la télévision publique. Mais ça ne passe pas, ça ne passe plus : indignation et colère qui se manifestent d'abord parmi les fidèles. On accepte que les islamistes condamnent les festivals, ils vendent leur camelote. On comprend qu'un alem rivalise avec eux sur leur terrain. Mais que la télévision diffuse et amplifie ce discours pour le moins contestable devient intolérable. Où est Ahmed Taoufik appelé justement aux Affaires religieuses pour empêcher ces dérives ? Où est sa réforme censée éloigner les oulémas des manipulations islamistes ?
Le changement, bien évidemment, n'épargne pas la monarchie. Une donnée d'évidence qui n'est pas seulement l'expression d'une lapalissade : Mohammed VI n'est pas Hassan II. Ce n'est pas affaire de style comme aimait à le répéter le roi défunt : moi c'est moi, lui c'est lui. Recevant Jean Daniel, directeur du Nouvel Observateur, au lendemain de son intronisation, M6 lui dit en substance : « Je sais que pendant que je vous parle, vous n'allez pas manquer de regarder le portrait de mon père accroché au-dessus de ma tête, et vous n'éviterez pas de faire des comparaisons entre lui et moi. J'ai dit la même chose hier à Madeleine Albright qui était assise à votre place. Eh bien, les uns et les autres, vous devrez vous y faire : je ne suis pas Hassan II. »
À première vue, de tels propos semblent affectés d'un coefficient de modestie, voire d'humilité. Ce n'est pas si sûr. M6 entend marquer sa différence. On pourrait même déceler chez le fils une franche opposition post mortem à l'égard du père qui n'est pas dépourvue d'agressivité.
Pour commencer, la conception que se fait M6 de son rôle de roi est totalement différente. La distinction établie voilà deux ans par Tozy est très significative. Pour Hassan II, la monarchie se confondait avec le Maroc et le roi avec le royaume. Il était le roi partout et toujours. M6, qui revendique le droit à une sphère privée, n'est roi qu'aux heures ouvrables. Au volant de sa voiture, il s'arrête au feu rouge et n'apprécie pas qu'on arrête pour lui la circulation. L'été, un jour de fête religieuse, il s'acquitte à la mosquée de ses obligations d'Amir Al-Mouminine (Commandeur des croyants) et, à peine la cérémonie terminée, chacun peut le voir traverser la plage pour se livrer à son sport favori : le jet-ski.